Faite de la même grume que les 239 congénères parquées comme des moutons dans leur boîte à sardines, elle attend, apathique, sa fin promise. Les ténèbres de son cachot s'ouvrent au gré d'une intention, humaine mais autoritaire. La coulisse glisse, l'instant d'une lumière aveuglante fait espoir d'épilogue inespéré au troupeau potassieusement chloratisé, donne à quelques rêveuses l'illusion éphémère d'une fortune heureuse et à portée de main. Deux doigts plongent dans le tiroir, farfouillent, gratouillent, agrippent l'imprudente, ou la résignée, ou l'écervelée, ou l'illusionnée. Le tiroir se referme sur des frottements d'aise, des soupirs d'insatisfaction, peut-être un rictus de jalousie. Un silence emprunté passe, ange persécuteur, salve honorant la fatalité, assourdit par le crissement du grattoir. Et c'est la même terreur froide, le même vertige qui saisit les rescapées. L'heure de l'une sera la prochaine.
Il n'y a d'autre destin promis à l'allumette : se morfondre comme le bois dont on fait les flûtes, puis s'éteindre dans une étincelle de vie.
Aucune fée ne me faisant chandelle d'or pour que le jeu vaille, quelle puissance suffisamment tutélaire me mettrait au soleil sous son aile ? Quel enthousiasme pourrais-je déchaîner, entre ce pouce et cet index m'emportant vers mon triste sort, pour m'en délivrer ?
Et pourquoi non, un pied de nez au pied du mur ? Faire long feu au grattage. Pour ne pas finir esclave, dépendant, soumis à une volonté étrangère à la mienne. Vivre trop longtemps comme une allumette, dans l'attente que s'ouvre la boîte, devrait-il enterrer tout sursaut de dignité…
Si ?